Nous avons souhaité nous rendre en Arménie, à quelques jours de Noël. Nous y avons vu le courage d’un peuple, digne dans l’épreuve, affichant face aux provocations extérieures, celles de puissants voisins qui voudraient le réduire, la puissance intérieure des âmes fortes, la résistance intacte de ceux qui savent à la suite d’Ernest Renan qu’une nation est avant tout un principe spirituel. Nous avons aussi entendu les mots de ce pays-message car l’Arménie, du fond de sa douleur, a quelque chose à nous dire. À nous, Européens. À nous, Français.
Ce qu’elle nous dit, c’est ce que nous ne disons plus : la dignité d’un peuple réside d’abord dans sa souveraineté. Et s’il est un peuple qui connaît le prix d’une nation souveraine, qui l’a payé de son sang à travers le génocide de 1915, c’est bien le peuple arménien. Nous n’ignorons pas la complexité des enjeux géostratégiques dans cette région pivot. Mais aucune précaution diplomatique ne saurait justifier que la souveraineté arménienne soit amputée, sous la pression de l’Azerbaïdjan et de son protecteur turc. La communauté internationale ne doit pas seulement remplir ses devoirs humanitaires, mais défendre également les droits politiques de l’Arménie.
Mais l’Arménie nous montre aussi ce que nous ne voyons plus : l’histoire des hommes est d’abord celle des civilisations. La leur est la nôtre. Car leurs racines sont les nôtres. Premier royaume chrétien, dont le gisant du dernier roi repose à la basilique de Saint Denis, l’Arménie est notre sœur. Toujours, dans sa douloureuse histoire, c’est vers l’Europe et singulièrement vers la France qu’invariablement, elle aura porté son regard et son espoir. Aussi lorsqu’en 2020 l’Azerbaïdjan, appuyé par la Turquie, a lancé son offensive sur la région du Haut-Karabach, c’est de nouveau vers l’Europe que l’Arménie s’est tournée.
Et si l’Europe a répondu à cet appel avec une certaine timidité, se réfugiant derrière la neutralité, la raison ne tient pas aux seules divergences de vues et d’intérêts entre les chancelleries européennes : cette civilisation commune qui l’unit aux Arméniens, l’Europe ne l’assume plus. Or, l’Europe n’est pas qu’un ensemble d’institutions, c’est d’abord une civilisation.
Et les civilisations sont mortelles. C’est ce message d’avertissement qu’à la suite de Paul Valéry nous lance l’Arménie : l’Europe peut disparaître de ne plus se reconnaître. En voulant s’affranchir de ses racines, elle laisse une friche que viennent labourer les semeurs de haines, à commencer par la haine islamiste. Cette même haine qui a frappé les Arméniens, à travers les crimes commis par les mercenaires djihadistes au Haut-Karabach, comme elle frappe déjà les Européens.
C’est le même totalitarisme qui réunit ceux qui, en Arménie, voudraient réduire en cendres les monastères et les églises, avec ceux qui, en France, ont massacré le père Hamel et fait couler le sang dans la basilique de Nice. Même idéologie, même totalitarisme, mêmes ennemis : Français et Arméniens, c’est dans l’adversité que nous prenons conscience de cette même civilisation qui nous unit.
Ces liens d’unité entre nos deux nations, il nous faudra les raffermir. Par une action extérieure assumant pleinement notre responsabilité dans le processus de paix au sein du groupe de Minsk comme au sein de l’Union européenne. Nous souhaitons une conférence internationale pour l’Arménie à Paris, qui au-delà de la sécurité et de l’économie, mobilise également l’Unesco sur la protection du patrimoine culturel et religieux du Haut-Karabach. Par cette relation intérieure, aussi, qui unit dans le cœur de nos compatriotes franco-arméniens nos deux nations.
Peu de peuples auront donné autant de grands Français à la France que le peuple arménien. Le hasard n’y est pour rien. La France et l’Arménie portent en elles plus que leur propre destin. Cette part d’universel qu’ensemble nous possédons, nous devons la préserver pour la grandeur de notre civilisation. Cette civilisation européenne dont l’Arménie demeure la courageuse sentinelle.